Peuple Padaung ou les femmes girafes

En route pour Chiang Raï , je m’enfonce de plus en plus dans le mythique Triangle d’Or. Un paysage alternant entre rizières et forêts impénétrables défile à travers les vitres tachetées de poussières rouges du bus. La nature a eu cette remarquable intelligence de décliner en une palette infinie toutes les nuances de verts: émeraude, anis, olive, … ravissant à outrance mes yeux toujours avides d’éblouissements. Une pluie fine vient s’écraser nonchalamment sur le pare-brise relevant le taux d’humidité à son extrême degré. Les nuages dansent et viennent lécher les collines environnantes cernées par les rizières telles de vastes douves infranchissables. De minuscules points jaunes, chapeaux des travailleurs de riziculture, s’affairent à façonner ce paysage de forçat. 

Les postes de police de plus en plus fréquents à l’approche de la Birmanie et du Laos me rappellent oh combien la région est toujours une source de tension due à la culture d’opium mais également de tension sociale par les vagues d’immigration des pays voisins. Près de 130 000 Birmans, issus de minorités ethniques chassées ou maltraitées, vivent parqués dans une dizaine de camps à la frontière entre les deux pays, certains depuis les années 80’s. Parmi eux, des milliers de Padaung, ethnie célèbre grâce à des traditions exceptionnelles et emblématiques dont les femmes portent de grands colliers qui leur ont valu le surnom de « femmes girafes ». Si les Padaung sont surtout connus pour cette tradition hors normes, ils possèdent bien une culture à part entière qui risque de se perdre.

Ces femmes portent un épais collier métallique donnant l’impression que leur cou est allongé de manière démesurée. Cette pratique si particulière est propre aux Padaung aussi connus sous le nom de Kayan, même si ces derniers sont en fait très peu nombreux (ils seraient environ 7000 personnes) et constituent une minorité appartenant au peuple des Karens rouges (ou Karenni), un groupe ethnique fort de quelques 4 à 5 millions de personnes, historiquement implantés dans le sud-ouest de la Birmanie. 

Les Karens représentent une population qui a été longuement opprimée, et qui subit encore aujourd’hui de nombreuses persécutions. Historiquement, les Karens rouges ont très probablement fui la Chine à la fin du premier millénaire et se seraient installés dans l’actuelle Birmanie à cette époque. Là, ils auraient subi le joug des différentes monarchies qui se sont succédées dans la plaine birmane et les abus qui y étaient liés : travail forcé, déplacements de populations, déportations…

Au XXe siècle, après l’indépendance de la Birmanie (elle appartenait auparavant à l’Empire colonial britannique), de nombreux Karens se sont battus pour pouvoir faire naître un État Karen indépendant, ce qui a dégénéré en une guerre avec la junte militaire birmane. Beaucoup de Karens ont dû fuir le Myanmar pour la Thaïlande voisine, où ils survivent dans des camps de réfugiés où les conditions de vie sont très variables. De nombreux Padaung s’y trouvent et certains n’hésitent pas à vendre l’accès à ces camps à des touristes qui veulent voir des « femmes girafes ».Beaucoup de théories circulent au sujet des colliers géants des femmes Padaung pour expliquer les origines de cette coutume hors normes (à l’exception de certaines femmes de la tribu des Ndébélés en Afrique du Sud, cette pratique n’existe pas ailleurs dans le monde). Certains l’associent au fait que les Padaung penseraient que ces colliers empêcheraient les tigres de s’attaquer aux femmes et de les tuer en les égorgeant. D’autres encore pensent que les Padaung pratiquent cette coutume pour rendre leurs femmes si étranges aux yeux des étrangers que ceux-ci ne voudraient pas les enlever. Pourtant, à l’heure actuelle, ces colliers produisent l’effet inverse pour les Padaung : ces derniers considèrent que, pour une femme, avoir un long cou est un critère de beauté particulièrement important.

De fait, il existe de nombreux mythes au sujet de ces bijoux. Tout d’abord, non, le collier n’allonge pas les vertèbres et ne les écarte pas, mais il produit une illusion d’optique en allongeant visuellement le cou par le tassement des os des épaules et des côtes sous son poids. Ce dernier n’est d’ailleurs pas constitué d’anneaux que l’on ajoute au fil de la croissance des jeunes filles, mais d’une spirale en métal qui est donc entièrement changée régulièrement pour être remplacée par un collier plus grand. À force de porter ces colliers, qui finissent par soutenir la tête à la place des muscles du cou et maintiennent la peau très protégée, il deviendrait dangereux pour les femmes Padaung adultes de les enlever.
Dans les faits, la culture Padaung, est encore peu connue au-delà de ces grands colliers emblématiques

Un autre élément propre à la culture Padaung et Karen est la très grande importance sociale qu’ils accordent au tissage des vêtements. Les femmes Karens célibataires ont pour habitude de s’habiller avec des vêtements blancs ou de couleurs claires, et de tisser longuement à l’avance de magnifiques tenues aux couleurs chatoyantes pour leur mariage et leur vie matrimoniale. En fait, la vie maritale est tellement importante dans la culture Karen que si une femme meurt célibataire, elle est enterrée dans des vêtements de femme mariée, ce qui lui permettrait de rejoindre l’au-delà en paix.

L’organisation sociale des villages Karens et Padaung est en règle générale structurée par le mariage : les femmes restent dans la famille de leurs parents, même mariées, les hommes rejoignent donc la famille de leurs épouses. Les biens agraires et immobiliers sont donc généralement transmis aux femmes tandis que les biens mobiliers et les animaux sont transmis aux hommes dans les héritages. Les Karens et les Padaung sont en général des fermiers produisant des céréales et des légumes et élevant des animaux. Ils sont particulièrement célèbres en Asie pour leur réputation en matière de domestication d’éléphants, dont ils seraient des cavaliers hors pair.